Les donations peuvent revêtir de multiples formes. Classiquement, la donation prend la forme du transfert sans contrepartie d’un bien ou d’une somme d’argent du patrimoine du donateur à celui du donataire. Mais elle peut également consister, pour le donateur, à renoncer à poursuivre contre le donataire le recouvrement d’une dette. L’intention libérale, l’animus donandi, guide toujours le comportement du donateur. Dans tous les cas, sauf stipulation contraire, la donation est rapportable. Cela signifie qu’au décès du donateur, l’héritier donataire doit rapporter à la succession l’ensemble des donations reçues. Celles-ci augmentent la masse successorale qui est ensuite répartie entre l’ensemble des héritiers à proportion de leurs droits respectifs.
En l’espèce, la défunte avait consenti à sa fille un bail à ferme à compter de 1994, mais n’avait jamais réclamé à cette dernière le paiement des échéances du loyer — les fermages — jusqu’à son décès en 2011. Lors du règlement de la succession de cette dernière, son autre fille a entendu voir l’intégralité des loyers rapportés à la succession comme étant constitutifs d’une donation indirecte au bénéfice de sa sœur. Elle obtient gain de cause en appel. L’exploitante agricole se pourvoit en cassation. Elle reproche à la cour d’appel d’avoir considéré que le non-recouvrement des loyers entre 1994 et 2011 était constitutif d’une donation indirecte rapportable tout en constatant la prescription des fermages jusqu’en 2005.
Dans son arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l’arrêt d’appel. En effet, la cour d’appel a souverainement jugé que « la renonciation de [la défunte] à recouvrer les fermages échus entre 1994 et 2005 l’avait été dans une intention libérale ». Ce faisant, elle « s’est ainsi justement fondée sur le rapport des libéralités et non pas sur le rapport des dettes ». En conséquence, elle « en a exactement déduit l’existence d’une libéralité rapportable […] à la succession ».
Le rapport des dettes permet d’attribuer à l’héritier débiteur du défunt la créance qu’il détenait contre celui-ci. La dette ainsi attribuée à son débiteur s’éteint par confusion. Cela facilite les opérations de partage de la succession. Pour ce faire, il est nécessaire que la dette soit exigible et donc non prescrite. À l’inverse, le rapport des libéralités a pour objet la composition de la masse successorale dans laquelle les libéralités rapportables viennent s’ajouter à la masse des biens présents au décès. Le rapport des libéralités les concerne toutes, quelle que soit leur date. Tout l’enjeu pour l’exploitante agricole consistait à défendre l’idée qu’elle était débitrice d’une dette à l’égard de la succession. Ce faisant, auraient seulement été dus les fermages de 2005 à 2011, les échéances antérieures étant prescrites. Pour autant, la cour d’appel, soutenue par la Cour de cassation, a analysé la renonciation du défunt au recouvrement des loyers comme une donation indirecte. En conséquence, ce sont l’intégralité des loyers depuis 1994 qui, qualifiés de donation, doivent être rapportés à la succession.
La détermination de la cause du non-paiement d’une dette au défunt par l’un de ses héritiers peut avoir des conséquences considérables dans les litiges successoraux. Si l’intention libérale du défunt est démontrée, la remise de dette est requalifiée en donation indirecte. À ce titre, l’héritier bénéficiaire est tenue de la rapporter à la succession dans sa totalité.